Note de l’éditeur : Cet article contient des images graphiques.

La controverse entourant l’indemnité telle que rapportée de 10,5 millions $ que touchera Omar Khadr pour la complicité d’Ottawa dans sa détention oppressive à Guantanamo Bay obscurcit un enjeu majeur qui n’a jamais été vraiment exploré au Canada.

Et si Khadr était innocent du meurtre du sergent Christopher Speer tout ce temps, et que nous n’avons même pas levé le petit doigt alors qu’il croupissait dans un cachot infernal pendant une décennie ?

Pendant près de 15 ans, le traitement de l’affaire Khadr par le Canada a été dominé par la présomption de culpabilité. Pourtant, les preuves semblent raconter une autre histoire.

Même si la nouvelle de ce règlement hors cour a généré beaucoup de rage, les faits sont rarement discutés. En tant qu’ancienne procureure, quelque chose m’a toujours troublé à propos de cette affaire, et mon profond malaise ne s’est pas estompé avec le temps.

Tout avocat d’expérience serait troublé en ouvrant ce dossier. Si l’on met de côté la « confession » de Khadr, arrachée lors d’une interrogation abusive d’un adolescent traumatisé et sévèrement blessé, les preuves contre lui étaient remarquablement minces.

Une fois examinées de plus près, elles paraissent plus appuyer son innocence que sa culpabilité.

L’affaire Khadr, une « tragédie canadienne »

Le peu de preuves qui existent apparaissent confuses, incohérentes ou se contredisent carrément. Les photos de la scène de l’attaque en 2009 semblent être en conflit direct avec le résumé de l’argument de la poursuite.

Si les événements s’étaient déroulés sous juridiction canadienne, les preuves n’auraient pas été suffisantes pour porter accusation, encore moins pour assurer une condamnation.

Cette affaire représente une tragédie canadienne et un échec moral de la part de notre gouvernement. Alors que le Canada aurait dû se présenter comme champion de la transparence, du respect de la règle de droit et du droit fondamental individuel à un procès juste et équitable dans les procédures de l’affaire Khadr, nous sommes restés muets, ou nous avons activement participé à son interrogation abusive en détention.

Si le gouvernement canadien avait respecté ces valeurs, un procès en audience publique se serait sans doute fini en défaite humiliante pour le gouvernement des États-Unis, et la perception publique serait très différente de ce qu’elle est aujourd’hui.

Pour n’importe quel avocat, il est clair que Khadr a plaidé coupable pour une simple raison : une entente de plaidoyer coupable lui offrait un retour au Canada et la liberté éventuelle, un meilleur choix que l’autre possibilité, celle d’une vie de souffrance à Guantanamo.

Cette entente fut une réussite en tant que manœuvre légale, mais fut également une tragédie personnelle. Elle a réussi parce qu’elle a ramené Khadr au Canada, où ses perspectives de justice se trouvaient grandement améliorées comparées à Guantanamo Bay et les tribunaux militaires des États-Unis. Pourtant, la manœuvre fut tragique parce qu’il portera toujours le fardeau d’avoir plaidé coupable à un meurtre.

Aujourd’hui, les Canadiens payent un lourd prix parce que des gouvernements libéraux et conservateurs successifs ont sacrifié leurs principes pour des opportunités politiques, ont abandonné le droit à un procès équitable, et ont renié leur propre enfant-citoyen, un adolescent piégé et impuissant.

Évaluer la preuve de la perspective de la procuration

Voici comment un procureur regarderait les preuves contre Khadr dans un procès d’une cour criminelle civile. N’oublions pas qu’il s’agissait d’une poursuite criminelle où les jugements sont basés sur des preuve afin de protéger non seulement les innocents, mais aussi l’intégrité du système de justice.

La première étape est de s’assurer que la poursuite peut prouver chaque élément de l’accusation hors de tout doute raisonnable ; et que les preuves soient probantes, consistantes, crédibles, et fiables.

Toute défense flagrante, comme l’erreur sur la personne, l’autodéfense, la perte de contrôle temporaire ou l’accident, doit être anticipée et contrecarrée par des preuves convaincantes avant même que l’accusation soit portée.

De plus, dans une affaire circonstancielle telle que celle-ci, puisque personne n’a vu Khadr lancer la grenade qui a tué Speer, la qualité requise de la preuve est encore plus élevée. Dans un tel cas, le test n’est pas seulement que la preuve soit hors de tout doute raisonnable, mais que la preuve de culpabilité soit inconsistante avec toute conclusion rationnelle.

En premier, présentons le contexte. L’échange de coups de feu n’était pas une petite confrontation de village, mais un assaut militaire en règle sur une petite enceinte.

L’enceinte soupçonnée d’appartenir à Al Qaeda fut identifiée par les forces américaines et afghanes le matin du 27 juillet 2002. Deux miliciens afghans se sont approchés de la petite enceinte, d’une superficie estimée à « 100 à 120 pieds carrés ». Ils ont immédiatement été la cible de tirs par les occupants de l'enceinte et ont été tués.

Sandy Garossino et Jorge Amigo du National Observer discutent d'Omar Khadr, le 12 juillet 2017. Vidéo du National Observer

Enceinte bombardée et mitraillée pendant des heures par une attaque aérienne américaine

Ces tirs ont engendré une réponse écrasante. Plus d’une centaine de soldats américains se sont assemblés sur le site, et pendant les quatre heures suivantes, l’enceinte a été martelée par des tirs de canon, missile et roquettes d’une attaque aérienne coordonnée consistant d’hélicoptères d’attaque Apache, d’appareils d’attaque A-10 ainsi que de chasseurs F-18. Plusieurs bombes de 500 livres ont été larguées sur le site.

Lorsque les forces américaines ont cru que tous les occupants à l’intérieur avaient été tués, une équipe de forces spéciales américaine est entrée dans l’enceinte.

D’après les rapports, ce qui s’est ensuite déroulé a pris moins d’une minute et s’est terminé par la blessure mortelle à la tête du sergent Christopher Speer, par grenade, et qui ne portait pas de casque. Puis, Khadr a été capturé vivant.

Quels étaient alors les fondements de l’accusation de la poursuite contre Omar Khadr ?

Déclarations inexactes et incohérentes de la poursuite

En termes d'incohérence, il y avait une grande sélection. Les rapports militaires américains et les déclarations déposées décrivent un pêle-mêle de positions confuses et inconsistantes, incluant la gamme de scénarios suivante :

  1. L’équipe d’assaut est entrée, a subi le tir de l’ennemi, a riposté et a tué le tireur. Omar Khadr, positionné derrière un mur effondré, a alors lancé une grenade sur un groupe de soldats qui discutait. Il ne les considérait pas comme une menace à sa sécurité, mais avait simplement planifié de tuer le plus d’Américains possible (gouvernement des É-U, stipulation des faits, 2010, paragraphes 41-43, en accord avec Khadr dans son plaidoyer) ;
  2. L’équipe d’assaut est entrée, a subi le tir de l’ennemi, dont une grenade lancée. Ils ont tiré sur Khadr puis l’ont capturé. Il était le seul survivant dans l’enceinte pendant l’échange de tirs. Étant le seul survivant, Khadr doit avoir tué Speer (fausse position publique des forces américaines jusqu’en 2008, d’après un rapport de la CBC) ;
  3. L’équipe d’assaut est entrée, a subi le tir de l’ennemi, dont une grenade lancée. Ils ont tué le tireur responsable d’avoir lancé la grenade. Ils ont ensuite capturé Khadr, qui n’a pas lancé la grenade (rapport du major Randy Watt, officier américain senior au combat, 28 juillet 2002) ;
  4. L’équipe d’assaut est entrée, a subi le tir de l’ennemi et un témoin identifié comme OC-1 a vu une grenade lancée par-dessus un mur. Dû à la synchronisation des tirs et de la grenade, il ne croyait pas qu’une personne aurait pu faire les deux. OC-1 a tué le tireur. Il a ensuite trouvé Khadr ayant le dos tourné à l’équipe d’assaut et lui a tiré dans le dos. D’après OC-1, Khadr était la seule personne qui aurait pu tuer Speer (déclaration du témoin OC-1, datant du 17 mars 2004, près de deux ans après l’événement) ;
  5. L’équipe d’assaut est entrée, a subi le tir de l’ennemi et a vu une grenade lancée par-dessus un mur. Ils ont tué le tireur et deux membres de la force Delta ont confronté Khadr, qui était debout armé et leur faisait face. Ils lui ont tiré dans le torse (selon le résumé des déclarations, rapporté par Michelle Shephard du Toronto Star) ;
  6. L’équipe d’assaut est entrée, a subi le tir de l’ennemi et a vu une grenade lancée par-dessus un mur. Des soldats à l’extérieur de l’enceinte lançaient également des grenades durant la bataille. Les forces américaines ont d’abord tué le tireur, puis ont tiré sur Khadr avant de le capturer (conformément au rapport des preuves d’affirmation du Los Angeles Times). Ceci ouvre la porte à la possibilité qu’un tir ami ait accidentellement tué Speer.
  7. Les photos :
La photo de gauche, prise à Ayub Kheyl en Afghanistan le 27 juillet 2002, montre la scène telle que trouvée par l’équipe d’assaut qui approchait l’emplacement où le tireur a été tué. Khadr gît sous les décombres, apparemment sous le toit effondré. La photo de droite montre Khadr (silhouette mise en évidence) après avoir enlevé les débris. Photos classifiées obtenues par le Toronto Star, issues d’une soumission de 18 pages de l’ancienne équipe militaire de la défense de Khadr, présentée en 2009 à un comité de l’administration Obama enquêtant sur Guantanamo.

L'ensemble des positions et rapports avancés par la poursuite ne peuvent manifestement pas toutes être vraies. En fin de compte, soit le tireur, soit Khadr, soit possiblement les forces américaines ont lancé la grenade qui a tué Speer. Certains des rapports ne font aucun sens, et certains autres sont manifestement faux.

Dans une bonne poursuite, la cohérence, crédibilité et fiabilité sont essentielles, mais ce dossier était sur la corde raide.

Preuves photographiques désastreuses pour la poursuite

Puis les photographies de la scène de la bataille obtenues par le Toronto Star en 2009 ont sorties. Elles ne peuvent qu'être perçues qu'en désastre pour la poursuite.

Les deux photos ci-dessus décrivent la scène apparemment telle que trouvée par l’équipe d’assaut, près de l’endroit où le tireur fut abattu. La première photo, à gauche, montre le corps du tireur, tué lors du combat à côté de ce qui semble être un amoncellement de débris et de broussailles. Omar Khadr a été retrouvé vivant sous cet amoncellement.

D’après le Star, des documents militaires indiquent qu’un soldat se tenait debout sur le corps de Khadr avant de se rendre compte que quelqu’un y était enseveli.

La deuxième photo, à droite, améliorée par le Star pour la clarté, montre la broussaille et les débris qui ont été enlevés, exposant Khadr, avec les blessures des balles manifestement visibles sur son dos.

La troisième photo ci-dessous montre Khadr recevant les premiers soins de combat. Les dommages causés par la sortie des balles sont obscurcis. Le sang séché de la blessure à son œil gauche, causée par des éclats, est manifestement visible. Le visage de Khadr est couvert de poussière, ce qui est conforme avec l’ensevelissement.

Khadr reçoit des premiers soins de combat après avoir été blessé lors d’une bataille à Ayub Kheyl, Afghanistan, le 27 juillet 2002. Le visuel des dommages causés par la sortie des balles a été obscurci. Image provenant de Wikimedia Commons, obtenue originalement par le Toronto Star.

Khadr ne pouvait pas avoir lancé la grenade et s’être ensuite enseveli lui-même sous pierres et débris, en seulement quelques secondes avant qu’arrive l’équipe des forces spéciales.

De toutes les positions prises par la poursuite et décrites ci-dessus, il n’y a que les positions 3 et 6 qui sont cohérentes avec les images prises immédiatement après le combat. Aucunes de ces versions n’implique Khadr. La version 3 est le rapport d’incident soumis par l’officier supérieur présent sur le terrain, au lendemain de l’attaque. Ce dernier exonère complètement Khadr.

La seule preuve qui peut lier Khadr à la grenade est la déclaration d’OC-1 dans la version 4, faite aux enquêteurs près de deux ans après l’événement. Mais cette déclaration indique qu’il a trouvé Khadr assis et appuyé contre de la broussaille, témoignage qui contraste drastiquement avec la première photographie, démontrant Khadr complètement enseveli sous roches et broussailles.

Il ne s’agit pas que d’un petit problème pour la poursuite. C’en est un de taille.

Si la photo se trouve à être une description exacte de la scène telle que trouvée par l’équipe des forces spéciales, la déclaration d’OC-1 ne peut être véridique. Il est plus probable qu’OC-1 ait découvert Khadr enseveli après avoir tiré sur l’autre combattant, et qu’il l’ait ensuite tiré dans le dos alors qu’il gisait par terre.

Ça devient bien pire. Un problème bien plus gros pour la poursuite est que sa version officielle, la numéro 1, ne fait aucun sens lorsqu’elle est lue en combinaison avec les photographies. Voici la stipulation des faits du gouvernement américain :

Une capture d’écran de la stipulation des faits du gouvernement américain, en octobre 2010, à propos des événements qui ont mené à la mort du sergent Christopher Speer en Afghanistan en 2002, tel qu’accepté par Omar Khadr.

Les paragraphes 42 et 43 sont clairement rédigés pour contrer tout argument voulant que Khadr ait lancé la grenade en autodéfense. Ils sont rédigés pour dépeindre Khadr comme l’agresseur qui, sans être provoqué, a attaqué un groupe de soldats pacifiques qui ne faisaient que sécuriser le lieu d’une bataille une fois le combat fini. Mais tout ceci est profondément incohérent avec une photo de Khadr enfoui sous les décombres, gisant à quelques centimètres du cadavre d’un compatriote.

À moins que le corps du tireur ait été déplacé, Khadr gisait enfoui sous les décombres, immédiatement à côté de lui lors de la bataille. D’après OC-1, il aurait abattu le tireur et Khadr, à quelques secondes près.

Ceci ne tient pas la route non plus. Khadr n’a pas regardé son compatriote se faire abattre puis lancé une grenade, pour ensuite se recouvrir de pierres et de branches pour attendre de se faire découvrir. Et que faire du rapport du Star relatant les documents des forces américaines indiquant qu’un soldat ne s’était même pas rendu compte que Khadr se trouvait là avant de pratiquement lui marcher dessus ?

La preuve des forces américaines est un meilleur argumentaire pour l’innocence que pour la culpabilité

Jusqu’à maintenant, il s’agit là de toute la preuve de la poursuite, et c’est le bazar avant même que la défense n’appelle son premier témoin. Sans la confession de Khadr, obtenue essentiellement par la force, il n’y a pas de preuve convaincante qu’il n'ait lancé quelque grenade que ce soit. Personne ne l’a vu faire, et de toute évidence il aurait été sous ces décombres pendant tout ce temps.

À partir de ce qui est disponible publiquement jusqu’à ce jour, la preuve de culpabilité est faible et spéculative. Dans son ensemble, ça ne fait pas vraiment de sens. De multiples déclarations se contredisent et partent dans tous les sens.

Il ne s’agit pas de petites incohérences. Il y a quelque chose de profondément erroné avec la position de la poursuite.

Sans la confession de Khadr, la preuve échoue à son premier test fondamental : celui d’établir, sans l’ombre d’un doute, par une preuve fiable, fiable et cohérente, que Khadr a lancé la grenade qui a atteint et tué le sergent Speer.

Et à propos de cette confession ?

Comme il est bien connu aujourd’hui, les fausses confessions sont monnaie courante, surtout venant de jeunes personnes sous contraintes. L’intensité et la violence de l’interrogation de Khadr sont sans précédent dans un état de droit. Il est probablement juste d’avancer qu’en 2002, l’armée américaine était bien plus intéressée d’apprendre tout ce qu’elle pouvait de Khadr à propos d’Al Qaeda que d’obtenir une déclaration volontaire admissible à un procès criminel.

La priorité était de trouver et de tuer Osama Bin Ladin, et de vaincre Al Qaeda ainsi que les talibans.

Le fait que les interrogateurs soient allés trop loin est maintenant de notoriété publique. Mais le problème avec une interrogation abusive, ou sous la torture, n’est pas seulement que ça viole les droits du prisonnier, mais que ceux qui y sont soumis vont donner de l’information erronée pour mettre fin à leurs souffrances.

Aujourd’hui, Khadr dit qu’il a faussement admis sa culpabilité pour satisfaire ses interrogateurs et faire arrêter la douleur, et qu’il y a des preuves pour soutenir cette affirmation. Par exemple, nous savons que sous la pression de l’interrogation, Khadr a faussement identifié Maher Arar comme résident de refuges terroristes en Afghanistan, alors qu’Arar n’avait jamais mis le pied dans le pays.

Il est bien plus facile de croire que Khadr ait confessé pour faire arrêter la douleur plutôt que de croire la véracité de sa confession. Les photographies et la chronologie connue rendent extrêmement peu probable qu’il ait pu lancer la grenade.

Tout de même, sans cette confession, la poursuite n’avait pas de dossier.

Le premier rapport, le plus précis et le plus frais dans la mémoire, indique l’innocence

Le premier rapport de l’incident de l’armée américaine, le plus frais dans la mémoire et probablement le plus précis, est basé sur des témoignages du moment, par des soldats qui y étaient, et a été soumis par le major Randy Watt le lendemain de l’attaque. Ce rapport décrit le scénario numéro 3, dans lequel il était indiqué que la grenade semblait avoir été lancée par le tireur.

Il est également cohérent avec, et corroboré par, les photographies de la scène, où il n’y a que le tireur qui aurait pu être en position de lancer la grenade.

Cependant, d’après la CBC (15:30 dans le vidéo), le rapport lui-même a été modifié ultérieurement, sans documentation ni explication.

Ce premier rapport, qui contient la meilleure preuve exonérant Khadr, reste à ce jour la description la plus cohérente des événements de cette journée fatidique.

Même s’il pouvait être établi que Khadr a effectivement lancé la grenade en pleine bataille, dû à sa proximité avec le tireur il est impossible d’éliminer la possibilité d’autodéfense. La stipulation des faits ne peut pas être vraie.

Après toutes ces années et cette couverture médiatique, il est évident que n’importe quel avocat de la défense aurait pu emboutir cette affaire avec un camion-remorque dans une cour criminelle conventionnelle.

C’était la responsabilité du Canada de faire des pieds et des mains à propos de l’obstruction de justice faite à un adolescent canadien

Savez-vous qui d’autre aurait y emboutir un camion-remorque ? Le gouvernement canadien.

C’était la responsabilité du Canada de faire des pieds et des mains à propos de l’obstruction de justice subi par un adolescent canadien, et basée sur un dossier lamentable. C’était la responsabilité du Canada de faire des pieds et des mains à propos de la torture d’un enfant canadien en détention américaine. Au lieu de cela, nous l’avons présumé coupable.

Des gouvernements consécutifs, libéraux et conservateurs, se sont lavé les mains de Khadr, et ont plutôt activement participé à ce calvaire kafkaïen et ce procès par la torture. Très peu se sont levés pour prendre sa défense alors qu’il était condamné par la cour de l’opinion publique sans procès.

Nous étions contents, voire impatients, de pouvoir lui retirer ses droits, de le juger sans même jeter un œil sur les faits, et de permettre à l’armée américaine et aux politiciens de le salir sans merci alors qu’ils réalisaient tous les efforts possibles pour supprimer la vérité.

Et même si certains journalistes se sont distingués, il ne manquait pas de commentateurs pour en remettre, ricanant de ceux qui doutaient et des sceptiques, les accusant d’être des mauviettes bien-pensantes.

Le programme de torture américain fut un désastre. L’extradition des sites de torture fut un désastre. Guantanamo est un désastre qui se poursuit.

Plutôt que d’avoir jouer le rôle du fidèle chien de compagnie des États-Unis, le gouvernement canadien aurait dû se tenir debout fermement du côté de la règle de droit, demandant des comptes de la cruauté stupéfiante et de l’incompétence consternante (ou pire) derrière toute cette affaire.

À chaque virage, nous aurions dû demander des procédures équitables, ouvertes et transparentes. Nous aurions dû contester la mauvaise foi, le secret, les rapports falsifiés, les témoins contradictoires, les histoires changeantes, et l’intimidation procédurale.

Nous aurions dû demander le rapatriement immédiat au Canada de Khadr, en attente d’une enquête complète.

Si vous croyez toujours que les États-Unis n’auraient pas truqué leurs rapports pour obtenir les résultats qu’ils désiraient, tapez « Pat Tillman » sur Google. Puis réfléchissez à savoir si le plus gros indice dans tout ce mystère est la longue suppression des rapports selon lesquels les soldats américains dans l’équipe d’assaut des forces spéciales auraient aussi lancé des grenades pendant le combat.

Nous avons eu amplement de préavis sur l’issue de cette histoire, parce que nous la connaissions déjà avec Maher Arar. Le jour suivant la déclaration de Khadr, obtenue par la peur et la violence, accusant faussement Arar comme étant un complice d’Al Qaeda, les autorités américaines l’ont fait disparaître par extradition extraordinaire vers la Syrie, où, lui aussi, fut torturé et emprisonné pour un an.

Cette leçon nous a coûté un joli 10,5 millions $ en présage, mais ne nous a rien appris. Nous avons refait la même chose. À un enfant.

Khadr a été virtuellement abandonné, seul et démuni, pour se battre contre l’impressionnante puissance américaine à partir d’un cachot à Guantanamo. Il aurait dû avoir tout le poids du gouvernement canadien avec lui à faire pression pour obtenir la vérité.

Entente de plaidoyer pour acheter la liberté à gros prix

Plaider coupable à rendu Khadr libre, mais à un lourd prix. Pour sa liberté, Khadr a échangé la chance de blanchir son nom, probablement pour toujours, ainsi que de pouvoir tourner l’attention du public vers ceux qui l’ont abusé, qui ont falsifié les documents, qui ont changé leurs histoires.

Faisant partie de cette entente, Khadr a accepté une déclaration des faits admettant avoir tué le sergent Speer, et a promis de ne jamais entreprendre de révisions médico-légales de la preuve qui pourrait un jour prouver son innocence. Il a également donné son accord au gouvernement des États-Unis de détruire toutes preuves à la suite de la condamnation.

En tant qu’adolescent, Omar Khadr a été trahi et exploité pour tous les adultes qui lui devaient un devoir de diligence, incluant son père qui l’a enrôlé dans un groupe terroriste, et sa mère qui l’a laissé faire. Puis, il a été abandonné par le gouvernement qui aurait dû protéger son droit à un procès équitable.

Pour Khadr, le billet de retour de Guantanamo n’aurait jamais dû être une admission de culpabilité soutirée par la torture, la peur et le désespoir. Tous les autres pays occidentaux rapatriaient leurs citoyens, alors que le Canada y a laissé pourrir un adolescent.

Le passeport de sortie de Khadr aurait dû être le droit acquis avec lequel il est né; sa citoyenneté canadienne.